Le pain rouge

Un passionnant tableau de la vie rurale dans le Nord au XVIIIe siècle à travers la vie laborieuse de
Mathilde, fille de paysans. Depuis des siècles, la communauté paysanne mène une existence pénible, harassée de labeur, accablée d'impôts, de dîmes, souvent menacée par les famines et les
pillages. Pour chaque paysan, les lendemains sont incertains. Mathilde a grandi dans la ferme familiale au coeur de cette humble paroisse de neuf cents âmes. En plus de ses corvées
quotidiennes, elle doit subir les assauts du fils du seigneur tout-puissant du village. Mais la jolie Mathilde ne cesse de l'éconduire elle s'est promise à Blaise, le fils du charron. Bientôt
depuis Paris, la révolte gronde, un vent puissant souffle, chargé de colère. Des temps nouveaux s'annoncent et Mathilde aimerait croire en un monde meilleur pour elle et les
siens...
Extrait du livre :
L'ESPOIR
C'était en juillet 1788, le 13 exactement. La journée avait commencé normalement. Dans la matinée, j'étais allée donner du grain aux poules.
Habituellement, cela me plaisait beaucoup. J'aimais les voir se précipiter vers moi, gloussant et caquetant, et m'entourer d'un cercle impatient pendant que le coq, plus loin, observait la
scène d'un oeil distant. Mais ce jour-là, je les avais trouvées fort agitées. Elles se serrèrent autour de moi avec tant de précipitation qu'elles grimpèrent les unes sur les autres, et
quelques-unes me griffèrent de leur bec. Je dus faire de grands gestes pour les chasser.
- Elles sont énervées, constata ma mère. Les vaches, ce matin, m'ont paru bizarres aussi. Elles n'ont cessé de meugler et de battre l'air avec leur queue. Elles doivent sentir quelque chose.
Nous fûmes bientôt fixées. En fin de matinée, le temps jusque-là calme changea subitement. Le ciel se couvrit, devint si sombre que dans la maison nous ne voyions plus rien. Le vent se mit à souffler, en rafales de plus en plus fortes. Un seau d'eau que nous avions placé devant la porte se renversa et roula à travers toute la cour. De grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber. Dans la semi-obscurité qui régnait, ma mère et moi nous efforcions de préparer le repas, attentives au bruit du vent et de la pluie. Soudain, il y eut un éclair, puis un coup de tonnerre assourdissant.
- Ah ! dit ma mère en se signant, c'est un orage. Viens près de la cheminée, Mathilde.
J'obéis machinalement. Ma mère avait peur de l'orage. Elle disait qu'au cas où la foudre tomberait sur la maison, seule la cheminée serait épargnée, et elle nous invitait à nous tenir à cet endroit tant que le tonnerre grondait.
Nous étions là, sans bouger, lorsque la porte s'ouvrit. Mon père, mes frères et Louis, le valet de charrue, entrèrent, chassés des champs par la pluie. Ils secouèrent leurs sabots, enlevèrent leur sarrau de toile grise complètement trempé.
- C'est qu'il pleut ! s'écria mon père en ôtant son bonnet de coton bleu.
Un autre coup de tonnerre fit trembler la maison. Ma mère frissonna, se serra contre mon père.
- Jean-Baptiste, j'ai peur !
- Allons, dit mon père de sa grosse voix placide, ce n'est rien. Ça va passer.
Mais le vent soufflait avec une violence accrue. Un crépitement soudain se fit entendre, avec tant de force qu'il couvrait le bruit du vent. Mon frère François alla à la fenêtre.
- Mais ce sont des grêles ! s'écria-t-il.
Je le suivis. Une couche d'énormes grêlons, plus gros que des pois, recouvrait le sol tandis que d'autres continuaient à tomber, denses et serrés. Un coup de vent en projeta une partie vers la maison. Ils cinglèrent la vitre. Je reculai.
- Ne restez pas près de la fenêtre, dit ma mère. Heureusement, nous avons un buis des Rameaux pour nous protéger de la foudre.
Impressionnée, je rejoignis les autres. Ma mère tenait dans sa main sa croix d'argent et priait. Mon père s'agitait et se grattait la tête, signe qu'il était inquiet. Nous attendions tous, l'oreille tendue, satisfaits malgré tout d'être à l'abri. Maintenant, les coups de tonnerre se succédaient, la grêle tombait toujours, le vent hurlait d'une manière sinistre, emportait les grêlons en de véritables tourbillons blancs, faisait vibrer la porte, s'engouffrait par-dessous. L'obscurité était presque complète. Tout le monde se taisait.
Soudain, on entendit un craquement épouvantable dehors, suivi de beuglements affolés.
- Elles sont énervées, constata ma mère. Les vaches, ce matin, m'ont paru bizarres aussi. Elles n'ont cessé de meugler et de battre l'air avec leur queue. Elles doivent sentir quelque chose.
Nous fûmes bientôt fixées. En fin de matinée, le temps jusque-là calme changea subitement. Le ciel se couvrit, devint si sombre que dans la maison nous ne voyions plus rien. Le vent se mit à souffler, en rafales de plus en plus fortes. Un seau d'eau que nous avions placé devant la porte se renversa et roula à travers toute la cour. De grosses gouttes de pluie commencèrent à tomber. Dans la semi-obscurité qui régnait, ma mère et moi nous efforcions de préparer le repas, attentives au bruit du vent et de la pluie. Soudain, il y eut un éclair, puis un coup de tonnerre assourdissant.
- Ah ! dit ma mère en se signant, c'est un orage. Viens près de la cheminée, Mathilde.
J'obéis machinalement. Ma mère avait peur de l'orage. Elle disait qu'au cas où la foudre tomberait sur la maison, seule la cheminée serait épargnée, et elle nous invitait à nous tenir à cet endroit tant que le tonnerre grondait.
Nous étions là, sans bouger, lorsque la porte s'ouvrit. Mon père, mes frères et Louis, le valet de charrue, entrèrent, chassés des champs par la pluie. Ils secouèrent leurs sabots, enlevèrent leur sarrau de toile grise complètement trempé.
- C'est qu'il pleut ! s'écria mon père en ôtant son bonnet de coton bleu.
Un autre coup de tonnerre fit trembler la maison. Ma mère frissonna, se serra contre mon père.
- Jean-Baptiste, j'ai peur !
- Allons, dit mon père de sa grosse voix placide, ce n'est rien. Ça va passer.
Mais le vent soufflait avec une violence accrue. Un crépitement soudain se fit entendre, avec tant de force qu'il couvrait le bruit du vent. Mon frère François alla à la fenêtre.
- Mais ce sont des grêles ! s'écria-t-il.
Je le suivis. Une couche d'énormes grêlons, plus gros que des pois, recouvrait le sol tandis que d'autres continuaient à tomber, denses et serrés. Un coup de vent en projeta une partie vers la maison. Ils cinglèrent la vitre. Je reculai.
- Ne restez pas près de la fenêtre, dit ma mère. Heureusement, nous avons un buis des Rameaux pour nous protéger de la foudre.
Impressionnée, je rejoignis les autres. Ma mère tenait dans sa main sa croix d'argent et priait. Mon père s'agitait et se grattait la tête, signe qu'il était inquiet. Nous attendions tous, l'oreille tendue, satisfaits malgré tout d'être à l'abri. Maintenant, les coups de tonnerre se succédaient, la grêle tombait toujours, le vent hurlait d'une manière sinistre, emportait les grêlons en de véritables tourbillons blancs, faisait vibrer la porte, s'engouffrait par-dessous. L'obscurité était presque complète. Tout le monde se taisait.
Soudain, on entendit un craquement épouvantable dehors, suivi de beuglements affolés.